Retour des Mondiaux : l’itinéraire en or d’Agbegnenou

 

Hier soir, dans la salle de réception de l’Hôtel de Ville d’Argenteuil, il fallait se faufiler entre les supporters et les élus, les appareils photos et les caméras, pour avoir la chance de voir le visage lumineux et souriant de Clarisse Agbegnenou. La judokate a reçu des félicitations dignes de son nouveau rang de double championne du monde. Il y a quelques jours, à Chelyabinsk en Russie, la protégée d’Ahcène Goudjil a écrit la plus belle page du judo valdoisien, en décrochant l’or planétaire en -63kg et par équipe. En individuel, «Gnougnou» a été la première Française titrée sur la compétition, s’inscrivant comme l’héritière de Lucie Decosse et Gévrise Émane. Par équipe, elle a prolongé son invincibilité en 2014, portant à 26, son nombre de victoires consécutives.

La fierté d’Argenteuil

Lorsque dans la salle, le silence se fait d’or, le maire (UMP) d’Argenteuil, Georges Mothron, en profite pour rappeler à l’auditoire l’envergure de la judokate. La lecture du palmarès paraît longue, très longue. À seulement 21 ans, la ‘‘Riner au féminin’’ a déjà quasiment tout gagné. En simple, en double ou en triple… «Face à Clarisse, c’est le silence des agneaux !», plaisante un fan et cinéphile averti. «Par ses excellents résultats, notre championne donne une belle image d’Argenteuil. Avec elle, notre Ville triomphe et est mise en lumière de façon positive», se réjouit le maire, qui a récemment accordé une subvention de 168 000€ au club de Clarisse, en proie à une situation financière délicate. En tendant le micro à la judokate, Georges Mothron, un brin joueur, lui lance un défi : «Je vois qu’il manque encore quelque chose à ton palmarès. On se retrouve dans deux ans avec la médaille d’or aux Jeux olympiques de Rio ?». «Je relève le défi !», rétorque la championne, qui remercie chaleureusement la Ville, son club et les nombreux témoignages de soutien de ses supporters.

Racines sportives togolaises

À l’heure de passer aux petits fours, la portée de ses deux titres mondiaux devient un peu plus…gargantuesque. Une chaîne africaine accapare la championne plus de 45 minutes… Car en plus d’être la judokate Française la plus en vue, Clarisse est aussi devenue la première sportive d’origine togolaise à décrocher un titre planétaire. Son père, Victor Kossikouma, en est très fier. «Notre nom (Agbegnenou) signifie littéralement ‘‘la vie est quelque chose’’. Sous-entendu, la vie, précieuse, doit être vécue à fond à chaque instant. C’est une sorte de carpe diem que Clarisse respecte et porte très haut», explique-t-il d’une voix posée.

«D’une certaine façon, ses racines togolaises sont aussi celles du sport. Je pratiquais moi-même plusieurs disciplines à Badou, tandis que sa maman (Pauline), originaire d’Atakpame, a pratiqué le hand, le volley et le basket à bon niveau», sourit le vétérinaire de formation, devenu l’inventeur du système de télécommunication le plus ambitieux de ce début de XXIème siècle (le PWCS*). «Le sport fait partie de notre culture, dans la famille. Mon frère jumeau, Aurélien, se prédestinait à une belle carrière de footballeur avant de bifurquer vers le tennis après une blessure. Mon frère cadet, Akhène Joris, pratique, comme moi, le judo avec passion», précise la championne du monde, qui ne pensait pas que le judo deviendrait son sport favori.

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Deux fois championne du monde de judo quelques jours plus tôt à Chelyabinsk (Russie), Clarisse Agbegnenou est félicitée par la municipalité d’Argenteuil le 5 septembre, au cours d’une réception à l’Hôtel de Ville. Photo : Julien BIGORNE / www.sportspassion95.fr

 

Arrivée déterminante au JCEA

«À l’âge de 9 ans, je pratiquais l’athlétisme et la danse. Mais, malgré ces activités, mon énergie restait débordante et il fallait la canaliser. La directrice de mon école m’a alors orientée vers l’art martial fondé par Jigoro Kano. Et ça m’a plu», raconte Clarisse Agbegnenou. Déjà au niveau national chez les cadettes sous les couleurs de l’AM Asnières, la graine de championne attend un déclic pour prolonger son ascension vers le haut niveau. Il survient finalement en 2009, grâce à une amitié et des rencontres décisives. Lucie Perrot, son ancienne camarade de classe et ancienne rivale en -57kg le temps d’un Régional minime, devenue sa colocataire au Pôle France d’Orléans, réussit une année exceptionnelle couronnée d’une place de finaliste aux Mondiaux juniors. Elle l’invite alors à rejoindre son club, le Judo Club Escales Argenteuil (JCEA). Une grande famille de 500 licenciés qui ne cesse de progresser depuis douze ans. Le soutien de l’entraîneur, Ahcène Goudjil, pour ses protégés, convainc rapidement Clarisse. «Je lui dois une partie de ma réussite. C’est un second papa…Depuis cinq ans, il s’investit tous les jours à 110% pour moi, alors qu’il a trois enfants et de nombreux judokas à entraîner. Ses conseils et ses préparations m’ont toujours été bénéfiques», loue la reine des -63kg.

Humilité et sens du travail

«Dès le début, Clarisse m’a épaté par son humilité et son sens du travail. En 2009, elle n’était pas sélectionnée pour les Mondiaux juniors. Et pourtant, elle était partie en stage tout l’été avec Lucie – à Tours, à Clermont, à Boulouris et à Biarritz – simplement pour se perfectionner», se souvient son coach. «C’est une fille qui a un mental aussi exceptionnel que ses qualités physiques. En étant n°1 mondiale, tout le monde la voyait être championne du monde. Mais monter sur la plus haute marche du podium n’est jamais simple… Quelques semaines avant l’épreuve, Clarisse s’est déchirée la cuisse lors d’un stage à Castelldefels. Elle a réussi à revenir à temps. Dès le début de la compétition, la pression était énorme. Elle a fait front en éliminant plusieurs adversaires pugnaces, comme l’Italienne Gwend. Puis, en finale se dressait à nouveau l’Israélienne Yarden Gerbi, sa meilleure amie sur le circuit, qui l’avait battu l’an dernier. Elle a pris sa revanche en proposant un judo très offensif», résume Ahcène Goudjil.

Le couronnement de l’Escales

«Avoir une championne du monde relevait du domaine du rêve lorsque nous avons créé le JCEA en 1997 moi et mon frère», poursuit le président, Nordine Goudjil. «Suite à des problèmes à l’US Argenteuil (le club de nos débuts et de notre fin de carrière de judoka), nous voulions créer notre propre structure pour permettre aux jeunes d’Argenteuil de progresser à leur rythme et d’accéder au haut niveau tout en proposant des tarifs d’adhésion attractifs. Nous avions pris les créneaux libres au gymnase Pierre de Coubertin et au bout de trois ans, nous étions déjà à 300 licenciés. Les judokas que nous formions depuis le début ont commencé à performer après sept ans d’efforts. Salem Boumallah et Claude-Edwige Zengbe devenaient champion de France UNSS cadet. Puis Lucie Perrot a franchi le cap supérieur en étant championne de France junior et vice-championne du monde junior en 2009. C’est à ce moment-là que Clarisse est arrivée et s’est tout de suite très bien intégrée. Elle est devenue le booster du club en gagnant quasiment tout». Reste les Jeux Olympiques de Rio en 2016. Auparavant, d’autres défis attendent la judokate argenteuillaise. «En mars dernier, j’ai rejoint l’équipe des sportifs de haut niveau de la défense gendarmerie à Fontainebleau. Être championne du monde militaire est ainsi devenu l’un de mes objectifs», précise Clarisse, qui reprendra la compétition au Grand Prix d’Abu Dhabi le 1er novembre. Julien BIGORNE

 

(*) Le PWCS est un système de communication polyvalent sans fil. Cette technologie étonnante permet, à partir d’une connection haut débit satellitaire, de distribuer les trois services de téléphonie, internet et images, sans recourir au moindre câblage.